Stigmates - Libya
L'euphorie semble être passeée, l'heure est aux premiers bilans. La fin est proche, on le sent. Le régime de Mouammar Kadhafi est acculé et lance ses dernières forces dans la bataille de Syrte, tandis que la population constate les dégâts.
Moins de 200 jours auront suffi à creuser une vaste cicatrice d'Est en Ouest. Entre désolation et fierté, un fossé s'est creusé entre les valeureux guerriers venus de Misrata et les minorités africaines clouées au pilori pour avoir un temps soutenu celui qui divise. Les militaires enrôlés de force pour répondre aux ordres d'un dictateur aux abois croupissent dans des geôles de fortune tandis que ceux qui ont eu le courage d'aller au front sans aucune expe?rience pansent leurs plaies, dans l'anonymat, loin de l'agitation.
Victimes de leur inexpérience, de leur couleur de peau, de mines antipersonnel, de la folie destructrice, tous sur ce territoire, portent malgré eux le poids d'un confit déclenché à la vitesse de l'éclair.
Peu importent les promesses de de?mocratie, les armes sont toujours en circulation, les milices continuent de faire la loi. Les luttes intestines pour le pouvoir et le poids de la religion devenue omniprésente dans l'adversité ralentit toute tentative de reconstruction d'une société nouvelle.
« Stigmates » est le fruit d'un travail de fond mené sur une terre en guerre contre son tyran.
La Libye, puissance pétrolière africaine, a plongé dans le chaos en février 2011. Après avoir couvert les prémices de l'insurrection populaire en Cyrénaïque je suis revenu en Libye quelques mois après le début de l'intervention décisive de l'OTAN. Je retrouve ce pays exsangue, à bout de force. De Benghazi à Tripoli en passant par Misrata et Syrte, partout je suis frappé par ces drames humains qui témoignent de cette volonté farouche de changement. C'est auprès de ceux qui ont payé le prix fort d'une guerre au nom de la liberté, la dignité et l'espoir d'un avenir meilleur que je travaille, souvent en retrait de la ligne de front.
Au milieu des décombres, dans les centres de réhabilitation fonctionnelle, en prison ou encore à l'hôpital psychiatrique, je comprends qu'un confit comme celui-là laisse des traces indélébiles dans la chair d'un peuple pris dans un tourbillon de révolte.
Ces stigmates auxquels je me suis intéressé sont des fragments de guerre.
C'est ce qu'il reste d'un combat pour la liberté à tout prix face à l'entêtement d'un régime corrompu qui refuse d'entendre la colère d'un peuple trop longtemps muselé.
Le chemin vers la démocratie se mérite. Il a un prix que certains ont payé cher, sans aucune espèce d'hésitation. Pour d'autres il s'est imposé, malgré eux. Ils sont déserteurs, réfugiés, prisonniers, mutilés, soldats devenus fous, adolescents fauchés dans l'innocence de l'âge ou encore victimes des frappes de l'OTAN ou simples citoyens. Tous ont été abîmés par la violence d'un conflit éclair.
Tous portent les stigmates de cette guerre qui marque l'année zéro d'un pays trop abîmé par la guerre et les luttes intestines pour se reconstruire sereinement.
Stigmates - Libya
The euphoria seems to be over, it is time for the first assessments. The end is near, we can feel it. Muammar Gaddafi's regime is cornered and launches its last forces in the battle of Sirte, while the population notes the damages.
Less than 200 days have been enough to dig a vast scar from East to West. Between desolation and pride, a gap has opened up between the valiant warriors from Misrata and the African minorities who have been pilloried for having once supported the one who divides. The soldiers forcibly conscripted to respond to the orders of a desperate dictator are languishing in makeshift jails, while those who had the courage to go to the front without any experience are licking their wounds, anonymously, far from the turmoil.
Victims of their inexperience, of their skin color, of antipersonnel mines, of destructive madness, all of them in this territory bear in spite of themselves the weight of a conflict triggered at lightning speed.
No matter what the promises of democracy, the weapons are still in circulation, the militias still rule. The internal struggles for power and the weight of religion, which has become omnipresent in the adversity, slow down any attempt to rebuild a new society.
"Stigmata" is the result of an in-depth study of a land at war with its tyrant.
Libya, an African oil power, plunged into chaos in February 2011. After having covered the beginnings of the popular insurrection in Cyrenaica, I returned to Libya a few months after the beginning of the decisive NATO intervention. I found this country bloodless, at the end of its strength. From Benghazi to Tripoli, passing through Misrata and Syrte, everywhere I am struck by these human dramas which testify to this fierce will to change. It is with those who have paid the high price of a war in the name of freedom, dignity and hope for a better future that I work, often behind the front line.
In the middle of the rubble, in the functional rehabilitation centers, in prison or in the psychiatric hospital, I understand that a conflict like this one leaves indelible marks in the flesh of a people caught in a whirlwind of revolt.
These stigmata in which I was interested are fragments of war.
It is what remains of a fight for freedom at all costs in the face of the stubbornness of a corrupt regime that refuses to hear the anger of a people that has been muzzled for too long.
The road to democracy is earned. It has a price that some have paid the highest, without any hesitation. For others it has been imposed, in spite of themselves. They are deserters, refugees, prisoners, mutilated, soldiers gone mad, teenagers mowed down in the innocence of age or victims of NATO strikes or simple citizens. All have been damaged by the violence of a lightning conflict.
All bear the scars of this war which marks the year zero of a country too damaged by war and internal struggles to rebuild itself serenely.